« Avec Zemmour, j’invente peut-être la catastrophe, mais je suis écrivaine, j’ai le droit »

Roter.Teufel

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Nathalie Azoulai :
« Avec Zemmour, j’invente peut-être la catastrophe, mais je suis écrivaine, j’ai le droit »


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La romancière, qui voit dans les hybridations idéologiques du candidat d’extrême droite à la présidentielle un niveau de confusion « sans égal », emploie les armes de la fiction pour imaginer ce qui « pourrait advenir d’un tel alliage ». Elle a livré au « Monde » le texte qui su

Tribune. En 2005, dans mon roman Les Manifestations, j’avais créé un personnage effrayant. C’était un adolescent qui s’appelait Omar et que Maurras fascinait. Certains m’avaient dit alors qu’il était improbable, ce jeune homme, le fruit de mon imagination, et en tout point contraire à la réalité. Je n’ai cherché à convaincre personne, étant moi-même persuadée que j’y étais allée un peu fort ; cependant, je restaisé intimement convaincue que cet alliage fantasmatique racontait quelque chose et que la réalité n’admettait jamais de contraire, une autre façon de dire que tout est toujours possible.

Le temps a passé, et je n’ai jusque-là jamais croisé aucun Omar. Un autre personnage improbable pourtant a surgi, cette fois très réel, nullement le héros d’un roman, à part de celui qu’il est en train d’écrire lui-même, un personnage que, pour le coup, je n’aurais ni osé imaginer ni même pu concevoir. Eric Zemmour, vous l’aurez reconnu. S’il est le symptôme d’un malaise dont souffre réellement la France, s’il permet de faire évoluer les diagnostics et s’il me semble que la diabolisation ne mène à rien, on peut légitimement douter des solutions qu’il propose. On peut également se méfier des polémiques qu’il déclenche, de son statut d’homme providentiel, de son style et de sa trajectoire. Si certains voient en lui le rejeton d’une lignée prenant racine dans le XIXe siècle français qui aura, comme on sait, produit toutes sortes d’hybridations idéologiques étranges, je trouve qu’à ce niveau-là de confusion, il est sans égal. Ce qui m’importe donc ici, c’est de déployer une longue-vue et d’essayer de scruter ce qui viendra d’un alliage pareil.

Le pire n’étant pas toujours sûr, j’invente peut-être la catastrophe, mais je suis écrivaine, j’ai le droit. Je bénéficie d’un coefficient d’imaginaire qui peut rendre mes conjectures certes fausses, mais pas pour autant dénuées de sens. Donc oui, Eric Zemmour endosse les habits de Jeanne d’Arc et veut sauver la France. Il fourbit sa croisade, appelle à combattre les ennemis jurés du pays, lance sa reconquête.
Ceux d’en face

A moi comme à d’autres, on a pourtant toujours dit que, dans un pays, les juifs devaient se tenir à l’écart de toute agitation politique, se garder de vouloir mener quelque révolution que ce soit, qui plus est de vouloir sauver la nation en montant au plus haut sommet de l’Etat, sous peine de tragiquement chuter. Il paraît que vient toujours le moment où, d’une manière ou d’une autre, le syndrome de la double allégeance, du cosmopolitisme congénital ou, disons, de l’absence de souche leur retombe dessus et qu’on jette la confiance qu’on leur a faite avec le sang du bain. C’est une antienne connue qu’Eric Zemmour lui-même a dû entendre. Dans sa famille, avec ses amis, je suis même prête à parier que certains lui serinent des : « Eric, tu devrais arrêter », « Eric, tu vas trop loin », « Eric, tu te mets en danger », quand ce n’est pas : « Eric, tu nous mets en danger ». Qu’importe, Eric n’entend pas et considère que ce sont là des mises en garde de trouillards, rien que des couards qui n’ont pas conscience de sa mission. On lui parle de Blum, peut-être même des déboires du dernier juif qui voulait devenir président, et il ricane, cite Crémieux, aiguise ses diatribes, dit que la France l’oblige, qu’il se dévoue.

Le Monde
 
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