« J’ai quitté le job le plus sexy du XXIe siècle » : de jeunes « data scientists » en perte de sens

Roter.Teufel

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« J’ai quitté le job le plus sexy du XXIe siècle » : de jeunes « data scientists » en perte de sens

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Une nouvelle génération de spécialistes des données, des algorithmes et de l’intelligence artificielle s’interroge sur les enjeux éthiques, sociaux et environnementaux de leur métier.


Le froid peut être piquant dans le château du Campus de la Transition, où vivent en habitat partagé une poignée de jeunes diplômés. Florence Drouet, 33 ans, ne s’en plaint pas : se munir de grosses chaussettes et d’épais pulls fait partie de l’existence plus sobre vers laquelle elle tend depuis qu’elle s’est installée au domaine de Forges, un écolieu en Seine-et-Marne. Là, l’ingénieure de formation, ex-data scientist, a délaissé les calculs complexes pour mener un projet d’expérimentation low tech – simple, frugal en énergie et durable. « Un changement de paradigme », convient-elle, loin de l’accélération technologique et du rythme effréné des start-up en intelligence artificielle, qu’elle a quittés il y a trois ans.

Pendant plusieurs années, la jeune femme a élaboré de pointus algorithmes destinés à permettre à des robots de s’orienter dans des environnements contraints. « J’avais choisi un univers médical pour être utile à la société, raconte Florence Drouet. Mais j’ai fini par me rendre compte que ma start-up fournissait certaines des technologies au secteur militaire : je ne maîtrisais pas ce qu’on faisait de mes compétences. »


D’autres considérations sociales et sociétales viennent peu à peu alimenter une dissonance cognitive croissante – ce sentiment d’agir en contradiction avec ses valeurs. « L’objectif était de développer la robotique humanoïde à grande échelle, poursuit-elle. Concrètement il s’agit de remplacer massivement des ouvriers. La question du sens a commencé à se poser. »

En parallèle, l’ingénieure est affectée par les enjeux de la crise climatique. « Plus je me documentais, plus je voyais l’écart énorme entre ces problèmes écologiques et les promesses des technologies, tellement consommatrices en ressources. Suivant toutes les prévisions de déploiement de robotique ou de numérisation, on va dans le mur. » Florence se sent actrice d’une forme de « fuite en avant technologique » qui lui semble absurde. En 2018, elle démissionne. « Je suis moins angoissée face à l’avenir, car ma vie professionnelle et personnelle fait davantage sens pour moi », explique-t-elle aujourd’hui.
Dérives des algorithmes

Après la ruée fulgurante vers le secteur de la data au début des années 2010, les discours critiques ont ébréché la bulle d’enchantement. Des figures comme la sociologue Shoshana Zuboff, qui publie L’Age du capitalisme de surveillance (Zulma, 2020), pointent les dérives des algorithmes. Professeure émérite à Harvard, elle décrit des machines dangereuses pour la démocratie, qui encouragent les informations toxiques et transforment les individus en « marchandises » – en écho aux interventions de l’ex-analyste Cathy O’Neil, autrice d’Algorithmes. La bombe à retardement (Les Arènes, 2018).

Le Monde
 
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